Introduction
Dans le milieu sauvage, vivre en groupe permet de mieux se protéger des prédateurs, de maximiser les stratégies de recherche de nourriture et de faciliter le transfert des connaissances par l’apprentissage social. Mais comment se construit la cohésion nécessaire à la survie du groupe ?
L’équipe de R.S. Mendonça a observé plusieurs groupes de chevaux féraux du nord Portugal pour comprendre comment les relations entre les chevaux s’établissent et se maintiennent dans le temps. Les comportements affiliatifs renforcent les liens entre deux individus, mais ces comportements ne s’observent pas entre tous les chevaux ; ils ont leur partenaire préféré. L’équipe a cherché à déterminer sur quels facteurs repose ce choix et a formulé plusieurs hypothèses :
- Les chevaux ont des comportements affiliatifs de préférence avec des congénères de même sexe, de même rang hiérarchique, et avec lesquels ils sont familiers, c’est à dire qu’ils connaissent et côtoient depuis plus d’un an ;
- La parenté génétique n’a qu’une faible influence sur les comportements affiliatifs ;
- Le sexe, le rang hiérarchique, et la familiarité sont les facteurs les plus déterminants dans la cohésion de groupe.
Méthode
16 groupes de poneys Garrano vivant en totale liberté, soit 84 individus, sont observés. Les groupes se composent de 3 à 9 individus : un étalon (ou deux étalons en alliance), des juments et parfois un ou deux jeunes de moins de 3 ans.
Les observations, à une distance de 5 à 10 mètres, durent maximum 1h par jour et sont filmées en continu. Tous les comportements sociaux (affiliatifs et agonistiques) sont décrits à haute voix et associés au nom du cheval concerné tout au long de la prise vidéo pour faciliter l’analyse par la suite. Parallèlement, un autre chercheur prend des photographies aériennes du groupe grâce à un drone toutes les 10 minutes pour étudier le positionnement précis des chevaux et les distances entre les individus.

La proximité et le toilettage mutuel sont les deux variables choisies pour observer les comportements d’affiliation par dyades, c’est -à -dire entre deux chevaux. La distance entre tous les individus, quant à elle, permet d’évaluer la cohésion du groupe : plus elle est grande, moins la cohésion est forte.
Dans les analyses, six facteurs – sexe, rang hiérarchique, parenté génétique, familiarité, stabilité et taille du groupe – sont pris en compte pour savoir s’ils ont une influence, positive ou négative, sur les trois variables.
Résultats
La familiarité apparaît comme le facteur le plus déterminant dans le renforcement des liens. L’homophilie par sexe joue également un rôle important dans la proximité. A l’inverse un rang hiérarchique similaire n’a que peu d’effet et la parenté génétique (supposée avoir une faible influence sur les comportements affiliatifs) se révèle même être un facteur d’éloignement. Enfin, plus le groupe est grand, moins les liens sont forts entre les individus (Tableau 1).
Tableau 1. Influence des facteurs sociaux sur les trois variables observées. + effet favorable, – effet défavorable, 0 aucun effet.

Les taux de comportements affiliatifs 2018 et 2019, tous groupes confondus, révèlent que proximité et toilettage mutuel ne vont pas de pair : la proximité obtient des scores de 96% et 98% tandis que le toilettage mutuel n’est observé que pour 24% et 38% des dyades.
Discussion
La familiarité est le facteur le plus déterminant dans les comportements affiliatifs et donc dans la préservation de la cohésion du groupe. Les études antérieures n’avaient pas pu mettre ce facteur en évidence puisqu’elles observaient des groupes déjà familiers. La familiarité ne doit pas être confondue avec la parenté génétique qui a l’effet inverse, évitant ainsi des relations incestueuses non bénéfiques à l’espèce.
L’homophilie par sexe joue également un rôle important sur la proximité, pourtant ce facteur, contrairement à la familiarité, n’a pas d’effet sur le toilettage mutuel ce qui suggère que ces deux variables ont chacune des fonctions spécifiques.
Les résultats sont pour la plupart cohérents avec ceux de précédentes études, mais des différences sont apparues concernant l’influence du rang hiérarchique et la parenté. En observant plusieurs groupes féraux, la stabilité des groupes et la dispersion des individus ont probablement joué un rôle important sur les résultats. C’est pourquoi les auteurs recommandent de poursuivre les recherches sur la dynamique sociale des chevaux féraux en tenant compte de la composition et de la stabilité des groupes.


